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Dossiers

Les extraordinaires aventures de Pupulus Mordicus, compagnie de marionnettes pour adultes consentants

par Michelle Chanonat Décembre 2025

La nouvelle est tombée comme les feuilles à l’automne 2024[1] : Pupulus Mordicus allait fermer ses portes, faute de subvention. Stupeur et tremblements dans le milieu : Quoi ? Pupulus, une de nos rares compagnies de marionnettes pour adultes, Pupulus aux spectacles ravageurs, depuis Faust en passant par Gainsbourg, Don Quichotte, Méliès et tant d’autres, Pupulus Mordicus coupée dans son élan, son avenir, ses projets ?

Eh oui. Après 30 ans de bons et loyaux services, la compagnie est priée de faire ses bagages et de laisser son atelier aussi propre qu’elle l’a trouvé en entrant. On range les marionnettes dans des boîtes, on classe les revues de presse dithyrambiques, on solde les comptes et on passe au suivant.

En septembre 2025, Pupulus Mordicus a organisé des funérailles publiques pour ses nombreuses marionnettes, un cortège funéraire et festif dans les rues de Québec, depuis l’école du Cirque jusqu’à l’église désacralisée de Saint-Charles-de-Limoilou, qui a réuni des centaines de personnes. Une cérémonie joyeuse et déjantée pour finir en beauté, avec toutefois un pincement au cœur.

[1] Sébastien Tanguay, Pupulus Mordicus, théâtre de marionnettes aux ficelles coupées, Le Devoir, 3 octobre 2024. https://www.ledevoir.com/culture/theatre/820983/pupulus-mordicus-theatre-marionnettes-ficelles-coupees

Pupulus Mordicus, annonce pour les funérailles publiques de la compagnie, en septembre 2025

Faust et Freud, rien de moins !

Quand elle est fondée en 1995 par une bande de joyeux lurons et luronnes formée de Sylvie Courbron, Martin Genest, Marie-Christine Lê-Huu, Pierre Robitaille et Philippe Soldevila, la compagnie Pupulus Mordicus a déjà autoproduit un spectacle l’année précédente, Faust, pantin du diable[1], joué aux flambeaux près des remparts de Québec. Cette mise en scène de Philippe Soldevila est reprise à la Quinzaine internationale de théâtre de Québec (devenu le Carrefour international de théâtre), et à la Semaine mondiale de la marionnette à Jonquières (devenue le Festival international des arts de la marionnette à Saguenay, le FIAMS). En 1998, Faust, pantin du diable part en tournée en France et en Italie. En 2001, le spectacle est joué au Théâtre Denise-Pelletier à Montréal, puis au Théâtre de la Seizième à Vancouver en 2002. Pour un coup d’essai, voilà un coup de maître !

En 1997, une première subvention du Conseil des arts et des lettres du Québec permet de lancer la production du deuxième spectacle, Les Enrobantes, cabaret décolleté pour psychanaliste plongeant[2], qui met en scène Freud, aux prises avec de complexes problèmes de libido, qu’il cherche à sublimer au cabaret de madame Guste, dans les bras de l’aguichante Lola. Créé en 1998 à Québec avec la complicité de Gil Champagne à la mise en scène, il prend le même chemin que le précédent, faisant la tournée des grands événements de théâtre et de marionnettes. En 2000, il est montré au Palais Moncalm et au Théâtre Périscope de Québec – qui accueille un spectacle de marionnettes pour la première fois – puis au Théâtre Denise-Pelletier à Montréal. Il sera repris 13 ans plus tard, dans une mise en scène de Bertrand Alain.

[1]Mercier, M. (1996). « Faust, pantin du diable ». Jeu, (81),168–171. https://id.erudit.org/iderudit/25531ac

[2] Purkhardt, B. (2000). Freud au cabaret d’un monde qui flanche : Les Enrobantes. Jeu, (95), 26–31. https://id.erudit.org/iderudit/25886ac

Premiers spectacles, premiers succès

Pendant que Freud tourne les têtes, se met en route le chantier de la création suivante, L’autopsie dun automate, un théâtre de monstres forains avec un joueur d’échec automatisé réputé invincible. Inspiré du Joueur d’échec de Maelzel, d’Edgar Allan Poe, il illustre une supercherie fort populaire au 18e siècle, celle d’un automate capable de jouer (et de gagner) aux échecs contre un humain.  Dans la version de Pupulus Mordicus, c’est Poe lui-même qui tente de résoudre l’énigme. Le spectacle est présenté au Théâtre Les Gros Becs à Québec. Ses marionnettes sont exposées au Festival Casteliers en 2021, dans le cadre de Marionnettes en vitrine.

En 2001, Autour de la beauté est un hommage à l’œuvre du sculpteur Philippe Hébert (1850-1917), une collaboration de Pupulus Mordicus avec le Musée des Beaux-arts de Québec. Cette même année, Martin Genest et Pierre Robitaille prennent les rênes de la direction artistique de la compagnie. Paul-Patrick Charbonneau propose une adaptation du Chant de Noël, de Charles Dickens, pour en faire le célèbre Noël de Monsieur Scrooge[1]. Bien que cette pièce soit destinée au jeune public, Pupulus Mordicus reste fidèle à sa réputation irrévérencieuse et festive, revisitant ce grand classique avec masques et marionnettes et… quelques libertés. Bien lui en a pris : la production, mise en scène par Martin Genest, est LE succès du temps des fêtes pendant plusieurs années.

En 2004, Les Survivants présentent un programme double et contrasté : L’Autre, d’après un roman d’Andrée Chédid adapté par Stéphan Allard et mis en scène par Martin Genest, est une variation poétique autour de l’histoire d’un vieil homme, convaincu que l’inconnu qu’il a salué la veille est prisonnier des décombres du séisme qui vient d’arriver.

Changement d’ambiance avec Gretchen, où marionnettes et comédiens évoluent dans un univers de guerre et d’affrontement, où l’on se bat à coups de bébés (!). La mise en scène de Patrick Saucier fait la part belle au jeu d’acteurs, aux manipulations endiablées et à la musique en direct, dans un esprit de dérision et d’irrévérence cher à Pupulus Mordicus. La conception des marionnettes, due à Pierre Robitaille et Zoé Laporte est récompensée d’un Masque décerné par feue l’Académie québécoise du théâtre.

Depuis, Gretchen est devenue une marionnette emblématique de la compagnie, un personnage de « comédienne finie imbue d’elle-même et qui n’a pas la langue dans sa poche. Une vraie star », dit d’elle Pierre Robitaille[2]. Celle-ci, l’artiste ne s’en séparera pas à la fermeture de la compagnie.

[1] Plourde, É. (2004). Pouilleux Noël, exécrable Scrooge ! Le Noël de M. Scrooge. Jeu, (111), 61–65.https://id.erudit.org/iderudit/25502ac

[2] Robitaille, P. (2016). Gretchen Gret : « Nous ne sommes pas des hochets! ». Jeu,(158), 31–35. https://www.erudit.org/fr/revues/jeu/2016-n158-jeu02429/81042ac/

L'Oiseau vert, Pupulus Mordicus, 2008. © Louise Leblanc

Grands textes pour grands personnages

Voyant loin et visant haut, Pupulus Mordicus ne craint pas de s’attaquer aux grands textes classiques. Ainsi, en 2006, la compagnie monte Jacques et son maître, une pièce de Milan Kundera inspirée par Jacques le fataliste, le roman de Diderot. Coproduit par le Théâtre du Trident à Québec, le spectacle repose sur l’échange philosophique entre un valet et son maître, autour de grandes questions existentielles. Les marionnettes de Pierre Robitaille et Zoé Laporte, « dans leurs habits flamboyants et exhibant leurs formes généreuses[1] », portent admirablement bien le propos, avec humour et dérision, sur une scène transformée en castelet. L’immense succès public et critique de cette production donne à Pupulus Mordicus une place de choix dans le paysage théâtral. Jacques et son maître remporte trois Masques : pour les marionnettes et leurs costumes, la mise en scène et la musique originale, ainsi que le prix Paul Bussière pour la scénographie.

Presque 10 ans plus tard, un autre tandem célébrissime, Sancho Panza et le Chevalier à la triste figure, dans Les véritables aventures de Don Quichotte de la Mancha, d’après Cervantès, est mis en scène par Philippe Soldevila. Coproduction avec le Théâtre Sortie de Secours et la compagnie barcelonnaise Gataro, le spectacle part en tournée en Espagne pendant l’été 2017.

De la commedia dell’arte avec L’oiseau vert, chef d’œuvre de Carlo Gozzi (2008), à L’Opéra de quat’sous de Bertold Brecht (2011), Pupulus Mordicus imprime sa marque dans sa façon unique et irrévérencieuse de revisiter les œuvres du patrimoine théâtral.

Gainsbarre, roi de la provoc’

Cabaret Gainsbourg est un autre grand succès de Pupulus Mordicus. Partant de quinze chansons de l’homme à tête de chou, Martin Genest et ses acolytes ont imaginé quinze numéros comme autant de petites histoires, où l’humour le dispute à la poésie, avec parfois quelque trivialité bon enfant. Dans une ambiance de cabaret, masques et marionnettes (celles de Gainsbourg-Gainsbarre sont saisissantes) sont manipulées à vue. Les musiciens et interprètes, « qui fusionnent dans l’esprit du spectateur à cause de la pénombre, des habits noirs, du timbre de voix très juste, de la manière caractéristique à Gainsbourg de prononcer les mots qu’ils sont tous parvenus à s’approprier, créent un personnage pluriel, une image d’autant plus ressemblante qu’elle est évanescente ».[2] Le spectacle fait une tournée d’une quarantaine de représentations, en plus d’être programmé au Festival International des arts de la marionnette de Saguenay et à la Cinquième salle de la Place des Arts à Montréal.

Des collaborations tous azimuts

Tout au long de sa carrière, Pupulus Mordicus réalise plusieurs coproductions artistiques avec des compagnies comme le Théâtre Motus, pour phisto-Méliès, une variation poétique sur la vie de Georges Méliès, inventeur des trucages cinématographiques, racontée par Hélène Ducharme, avec ombres, vidéos et illusions. Mis en scène par Pierre Robitaille et Hélène Ducharme, le spectacle a été présenté en ouverture du festival Marionnettissimo à Tournefeuille, en France, en 2014, avant d’être montré au Québec.

Avec la compagnie de théâtre jeune public Bouches décousues, Lascaux, en 2019, combine jeu d’acteur, théâtre d’ombres et marionnettes. Mis en scène par Jasmine Dubé et Pierre Robitaille, le spectacle aborde les thèmes universels des origines du monde et de l’art, des mythes fondateurs et sacrés. Créée au Théâtre du Périscope en 2019, il est ensuite joué au Théâtre Denise-Pelletier à Montréal. Dans ces deux spectacles, on retrouve au travail sur les ombres l’experte Marcelle Hudon. Pupulus Mordicus s’offre encore une autre incursion dans le jeune public avec le Théâtre du Gros Mécano de Québec pour La Ville en rouge [3](2010) un texte de Marcelle Dubois.

À partir de 2013, Pierre Robitaille se retrouve seul maître à bord de la direction artistique. Il multiplie expériences et expérimentations de toutes sortes, imaginant des marionnettes et leur prêtant voix pour plusieurs compagnies, dont le Théâtre de l’Escaouette à Moncton pour le spectacle Winslow (2018), le Théâtre populaire d’Acadie et le Théâtre Sortie de Secours pour Les jumeaux d’Arcadie (2022), un conte musical brechtien. Une collaboration régulière s’installe avec Ubus Théâtre, sympathique compagnie dirigée par Agnès Zacharie et dont les productions sont données dans un autobus scolaire spécialement aménagé, pour laquelle Pierre Robitaille joue et conçoit les marionnettes de plusieurs spectacles, notamment Le Pommetier (2021).

De 2015 à 2018, Pierre Robitaille imagine et réalise des installations monumentales de marionnettes géantes pour le parcours Où tu vas quand tu dors en marchant, proposé par le Carrefour international de théâtre à Québec. En 2017, ses marionnettes sont mises à l’honneur dans les vitrines de Montréal pour Marionnettes en vitrines, du festival Casteliers.

Avec audace, impertinence et originalité, Pupulus Mordicus faisait feu de tout bois, du bois dont sont faites les marionnettes. À la fermeture de la compagnie, certaines créatures sont données aux amis, collaborateurs et collaboratrices, d’autres sont abandonnées et d’autres encore (les plus chanceuses ?), sont adoptées par le Conservatoire d’art dramatique de Québec et par le DESS en théâtre de marionnette contemporain de Montréal. Des voies de garage, une mise en retraite pour des personnages hallucinants et déjantés, ces inoubliables bientôt oubliés qui nous ont fait rire et rêver. L’époque est dure pour les poètes…

[1] Saint-Pierre, C. (2006). Mais qui donc tire les ficelles ? Jacques et son maître. Jeu, (121), 119–122. https://www.erudit.org/fr/revues/jeu/2006-n121-jeu1113455/24361ac/

[2] Desloges, J. (2010). Rencontre onirique au pied d’un piano / Cabaret Gainsbourg. Jeu, (136), 38–39. https://www.erudit.org/en/journals/jeu/2010-n136-jeu1511523/65316ac.pdf

[3] Jean Siag, La ville en rouge, ça change pas le monde, sauf que…, La Presse, avril 2014 ; https://www.lapresse.ca/arts/spectacles-et-theatre/theatre/201404/30/01-4762301-la-ville-en-rouge-ca-change-pas-le-monde-sauf-que.php