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Dossiers

Contes et légende du Théâtre de Sable

par Michelle Chanonat mai 2024

Écriture dramatique et scénographie sont les deux axes de création du Théâtre de Sable. Pendant près de 30 ans, Gérard Bibeau et Josée Campanale explorent les possibilités de la marionnette dans sa matière, sa forme, ses techniques, sa plastique et dans sa relation avec l’acteur-manipulateur. Ce qui donne des spectacles  inoubliables, forcément.

Co-fondateurs du Théâtre de Sable, une des compagnies pionnières en arts de la marionnette au Québec, Josée Campanale et Gérard Bibeau ont débuté leurs activités au Grand Théâtre de Québec, la première en 1974 et l’autre en 1977. Complices à la scène comme à la ville, la scénographe et l’auteur ont marqué l’évolution de la marionnette grâce à une démarche exigeante, privilégiant la manipulation à vue, mettant en scène des formes abstraites ou des marionnettes sculptées, pour faire surgir des univers visuels empreints de poésie.

Le rêve de Pinocchio, Théâtre de Sable, 1996. Sur la photo : Agnès Zacharie et Martin Genest ©️Louise Leblanc

Les Marionnettes du Grand Théâtre de Québec (1974-1993)

En 1974, Guy Beaulne, premier directeur général du Grand Théâtre de Québec (GTQ), désirait diversifier le public en développant une clientèle familiale. Il eut l’idée de mettre en place au sein du GTQ un théâtre de marionnettes et fit construire un castelet, dessiné par Bernard Duchesne et réalisé dans les ateliers du GTQ en 1974. Dans l’esprit forain des théâtres de marionnettes d’antan, un premier spectacle fut créé à l’automne 1974.

Confié d’abord à Bernard Duchesne, ce dernier passa le flambeau à Josée Campanale qui mena à terme cette première production. Cette dernière, formée en arts visuels, était la personne toute désignée. La marionnette n’est-elle pas une sculpture à laquelle on donne vie ?

De 1974 à 1993, soit pendant 19 saisons, Josée Campanale œuvre avec les Marionnettes du Grand Théâtre de Québec. Au début, elle travaille avec le castelet. N’étant pas encore directrice artistique, elle ne peut pas « prendre la décision de donner un coup de scie dans le castelet pour ouvrir l’horizon[1]». Il a fallu deux ou trois créations pour s’en libérer, en le coupant en deux, ce qui permettait aux interprètes de jouer tout aussi bien devant le castelet, maintenant ouvert, qu’à l’intérieur de celui-ci. Désormais au centre du jeu, la manipulation à vue donne autant d’importance à l’acteur qu’à la marionnette qu’il anime. De plus, cette ouverture du castelet permet une conception visuelle plus libre et plus élaborée.

La création se raffine au cours des saisons en proposant des univers visuels poétiques et symboliques adaptés à l’imaginaire des jeunes spectateurs, sublimés dans les textes de Gérard Bibeau. Josée Campanale impose un « style dont la démarche avant-gardiste accuse une évolution sur le plan formel, tant au niveau de la manipulation et de la transformation à vue des objets que de l’épuration des marionnettes[2] ».

Une vingtaine de spectacles sont ainsi créés, sur des textes entre autres de Diane Lanteigne, André Cailloux, Maria Clara Machado et, bien sûr, Gérard Bibeau. À l’orée de sa brillante carrière, Robert Lepage signe quatre mises en scène pour les Marionnettes du Grand Théâtre de Québec : Oomeraghi Oh!, sur un texte de Jean Truss, en 1980 ; Clodiko-Bric-à-Brac, de Luc Simard, en 1982; Jour de pluie, rêves de nuit, en 1981 et Histoires sorties du tiroir, en 1985, tous deux écrits par Gérard Bibeau. Lepage est comédien et manipulateur pour À vol d’oiseau, de André Jean, en 1983. Échange de bons procédés, c’est tout naturellement Josée Campanale qui conçoit les marionnettes du fameux triptyque shakespearien de Robert Lepage, Coriolan, La Tempête et Macbeth en 1991.

Le Théâtre de Sable (1993-2013)

En 1993, le Grand Théâtre met fin à ses activités de théâtre de marionnettes. Josée Campanale et Gérard Bibeau décident de poursuivre l’aventure en fondant le Théâtre de Sable[3], entourés de Robert Caux à la musique et de Jean Hazel aux éclairages, qui resteront de fidèles collaborateurs. Les marionnettistes Agnès Zacharie, Bertrand Alain et Martin Genest comptent aussi parmi les indéfectibles de la compagnie, participant à bon nombre de créations et de tournées. Josée Campanale demeure au cœur de toutes les créations de la compagnie car elle en assure la conception et la fabrication de tous les décors, marionnettes et accessoires. Elle est assistée de Réjean Bibeau pour la fabrication de ces éléments.

Dès 1994, le Théâtre de Sable s’associe au Centre de diffusion Les Gros Becs, à Québec, tout en gardant ses locaux au Grand Théâtre de Québec. Jusqu’en 2013, année où la compagnie cesse ses activités, neuf spectacles voient le jour. Plusieurs d’entre eux connaissent des carrières impressionnantes, avec des tournées considérables.

Spectacle créé au Grand Théâtre de Québec en 1992, puis cédé au Théâtre de Sable qui le retravaille et le diffuse deux ans plus tard, Les Contes du temps qui passe sont une variation sur le thème de l’ogre. Gérard Bibeau part de cette figure pour en explorer les déclinaisons : il y a celui, affamé de chair fraîche, du Petit Poucet, ou l’ogre prédateur du Petit cheval qui hennit mal. La maladie est aussi envisagée comme un ogre dans L’Enfant pâle, et la menace environnementale en est un autre dans Le Lapin de lune[4]. Mais comment figurer l’ogre sans épouvanter, ou du moins heurter, les enfants ? Pour le Petit Poucet, Josée Campanale a l’idée de créer des personnages abstraits, de forme géométrique : deux gros cercles pour le bûcheron et sa femme, des petits cercles pour le Petit Poucet et ses frères, les filles de l’ogre et leur mère, et une sphère creuse montée sur des triangles pour l’ogre et ses bottes de sept lieues[5]. Une convention théâtrale et esthétique qui fut fort bien accueillie par le jeune public.

Le Rossignol et l’Empereur de Chine, d’après le célèbre conte de Hans Christian Andersen, est considéré comme un des plus grands succès de la compagnie. Les marionnettes à poignée, à main prenante sont de véritables sculptures animées. Le spectacle a remporté le Masque de la production jeune public, remis par l’Académie québécoise du théâtre en 1995. Il a effectué plusieurs tournées dans tout le Québec jusqu’en 2009.

Le Rêve de Pinocchio est présenté en 1996 par le Centre de diffusion Les Gros Becs au Théâtre Périscope de Québec. Dans ce spectacle, Pinocchio s’échappe de son histoire pour explorer celle des autres : les trois petits cochons, Le soldat de plomb et Le Petit Chaperon rouge. Mais le Chat et le Renard ne l’entendent pas de cette oreille, et Gepetto est toujours prisonnier de la baleine[6]. Spectacle emblématique, Le Rêve de Pinocchio réunit la « famille » du Théâtre de Sable : Gérard Bibeau au texte et à la mise en scène, Josée Campanale à la scénographie et à la conception des marionnettes, Robert Caux à la musique, Jean Hazel aux éclairages et les marionnettistes Martin Genest et Agnès Zacharie. En plus de faire plusieurs tournées au Québec et en Ontario (en 1997, 2002, 2005 et 2009), Pinocchio s’est promené à trois reprises en France (1999, 2001 et 2002). Son dernier tour de piste date de 2011.

Autre éclatant succès, celui de Maïta, un spectacle coproduit avec le Théâtre La Vieille 17, compagnie basée à Ottawa, et en collaboration avec le Centre national des arts d’Ottawa. Créé en 2000 au Carrefour international de Québec, écrit par Esther Beauchemin et mis en scène par Robert Bellefeuille, Maïta raconte la bouleversante histoire d’enfants qui travaillent dans une fabrique de jouets en Asie. Traduit en anglais et en espagnol, le spectacle a tourné pendant 10 ans, donnant plus de 200 représentations pour 40 000 spectateurs en Ontario, au Québec et au Canada et au Mexique.

Les deux dernières années du Théâtre de Sable, 2012 et 2013, ont été consacrées à la fermeture de la compagnie, à l’archivage et à la remise en état des éléments des spectacles. Le musée de la Civilisation ayant accepté la donation du Théâtre de Sable, il a fallu établir une liste exhaustive et méticuleuse de la documentation existant autour des neuf spectacles : marionnettes, décors, accessoires, photos, vidéos, etc. Pour chaque photo, (et il y en a des milliers dans les archives de la compagnie !) doivent figurer au dos les mentions telles que le titre du spectacle, les personnages représentés et les comédiens-manipulateurs. Sélectionner et classer les revues de presse, les dossiers de photos et vidéos, les textes, les cahiers techniques, les conduites d’éclairage ou encore les documents pédagogiques fut un vrai travail de moine.

Un travail de mémoire, aussi, qui permet de conserver une trace de l’itinéraire de cette compagnie, essentielle et fondamentale dans l’histoire de la marionnette au Québec et au Canada.

Quasi Umbra ou le Roman de Stella, Théâtre de Sable, 2006. © Louise Leblanc

Prix et nominations

1979 : Décoration de l’UNICEF remise à Josée Campanale pour son apport important au monde de l’enfance.

1985 : Prix Familia remis à Josée Campanale lors du gala du Mérite familial. Ce prix souligne l’importante relation parents-enfants créée par son activité et le grand nombre de familles rejointes.

1986 : Prix Jacques-Pelletier (Prix d’Excellence des arts et de la culture) remis à Josée Campanale pour la conception visuelle du spectacle Histoires sorties du tiroir et pour l’ensemble de son travail de créatrice de spectacles de marionnettes.

1988 : Josée Campanale est finaliste aux Prix de la création du Conseil de la culture pour la qualité exceptionnelle de ses œuvres

1991 : Finaliste pour le prix Banque Nationale de la meilleure production jeunes publics pour le spectacle Le petit cheval bleu

1995 : Masque la production jeune public, remis par l’Académie québécoise du théâtre pour le spectacle Le Rossignol et l’Empereur de Chine. Nominations de Josée Campanale pour la scénographie et de Robert Caux pour la musique.

1997 : Nomination au prix Jacques-Pelletier pour la scénographie du spectacle Le Rêve de Pinocchio.

2000 : Nomination pour le prix du public pour Le Violoniste au Gala des Masques

2002 : Prix d’Excellence des arts et de la culture : le Prix de l’Institut canadien de Québec est remis à Josée Campanale, qui souligne son influence sur le milieu de la marionnette au Québec

2003 : Trois nominations aux Masques pour Maïta

2005 : Prix ZOF pour la coproduction entre le Théâtre de Sable et le Théâtre de La Vieille 17 pour Maïta.

2008 : Prix Jacques-Pelletier pour la scénographie de Balade au pays de la forêt qui marche.

2011 : Nomination au prix Nicky-Roy de la comédienne Caroline Boucher-Boudreau pour son interprétation dans Contes venus du nord.

[1] Voir article de Marie-Christine Lesage (1995) Un théâtre de la métamorphose : entretien avec Josée Campanale et Gérard Bibeau du Théâtre de Sable, revue de théâtre JEU (76) : https://www.erudit.org/en/journals/jeu/1995-n76-jeu1072691/27932ac.pdf
[2] Le théâtre québécois, 1975-1995
[3]cVoir article de Marie-Christine Lesage (1995) Un théâtre de la métamorphose : entretien avec Josée Campanale et Gérard Bibeau du Théâtre de Sable, revue de théâtre JEU (76) : https://www.erudit.org/en/journals/jeu/1995-n76-jeu1072691/27932ac.pdf
[4] Voir article de Patricia Belzil (1994) Contes du temps qui passe, revue de théâtre JEU (73) : https://www.erudit.org/fr/revues/jeu/1994-n73-jeu1073445/28252ac.pdf
[5] Voir article d’Élisabeth Plourde, (2004). Dix ans de conte au Théâtre de Sable : Contes du temps qui passe, le Rossignol et l’Empereur de Chine et le Rêve de Pinocchio, revue de théâtre Jeu, (113) https://www.erudit.org/fr/revues/jeu/2004-n113-jeu1112686/24947ac.pdf
[6] Voir article de Guylaine Massoutre, Le rêve de Pinocchio, revue de théâtre JEU (81) : https://www.erudit.org/fr/revues/jeu/1996-n81-jeu1072347/25528ac/